MON ENFANCE ET MES ÉTUDES

Je suis né en Afghanistan en 1881. Mon père, Payanda Khan,habitait Logar, à environ 75 km au sud de la ville de Kaboul. Il était colonel dans l'armée afghane et portait le titre de Bahadur Khan. Tout le pays connaissait le colonel Bahadur Khan. Il avait deux épouses. La première était une proche parente qui lui avait donné trois filles, mais pas de fils. Donc, pour ne pas laisser sa famille sans descendance mâle, il a épousé la fille de Sayyid Mahmud Aqa, qui était membre d'une des plus nobles et célèbres familles d'Afghanistan. Mon jeune frère, Taj Muhammad Khan et moi étions le fruit de ce mariage.

Peu après son arrivée de Russie pour accéder au trône de Kaboul, l'émir Abdur Rahman Khan a fait arrêter six des plus éminentes personnalités du pays pour les envoyer dans un lieu inconnu. Mon père faisait partie de ce groupe. Plus tard elles ont été toutes exécutées. Puis, une deuxième tragédie a touché notre famille. Pour des raisons politiques mes deux oncles maternels étaient arrêtés et enfermés dans la prison d'état de Kaboul pour être ensuite exilés en Inde. Mon troisième oncle maternel, avec la permission de l'émir, a pu quitter l'Afghanistan avec sa mère et ses serviteurs pour s'installer en Inde. Le reste de notre famille restait à Kaboul.

En Inde, ils se sont installés à la ville de Hasan Abdal. A la suite d'autres difficultés politiques, toute notre famille a dû quitter Kaboul pour se rendre à Hasan Abdal. Quelques mois plus tard, ma mère est décédée. Suite à une réconciliation avec l'émir Abdul Rahman Khan, ma famille a pu revenir en Afghanistan, à l'exception de mes trois oncles et de moi-même.

Je suis arrivé plus tard à Delhi pour entrer au Madrasa-i-Fatehpuriafin de me perfectionner dans l'étude de l'arabe. A cette époque, l'école était dirigée par l'imam Abdul Jalil; le sous-directeur était Fateh Muhammad Khan. Ces deux hommes sympathiques m'ont aidé à terminer mes études de logique et à poursuivre celles des Hadiths et Commentaires. Pendant la journée, j'étudiais avec mes camarades de classe. Le soir, je prenais des leçons particulières avec Abdul Jalil. C'est ainsi que par la grâce de Dieu, j'ai pu me spécialiser aussi dans ces matières.

PREMIÈRE RENCONTRE AVEC DES CHRÉTIENS

Un jour en rentrant d'une promenade avec quelques amis, nous avons vu une grande foule, non loin de notre école. En arrivant sur les lieux, nous avons écouté une discussion entre un prédicateur chrétien et un élève de notre école sur la doctrine de la Trinité. Le premier s'appuyait sur la doctrine dans ce verset du Coran:

"Nous sommes plus près de lui que la veine de son cou."(Sourate Qaf 50.16)

*Les références coraniques sont tirées du Coran, traduit par D. Masson et revu par le Dr Sobhi El-Saleh, éditions Gallimard, 1967.

Il soutenait qu'ici, nahnu, la première personne du pluriel est utilisée et que si l'unité de Dieu était absolue, la première personne du singulier, ana, devrait être employée. Comme l'étudiant répondait mais en s'écartant du sujet, mes amis m'ont poussé à répondre au prédicateur. Je me suis donc avancé et j'ai déclaré que la première personne du pluriel est utilisée selon l'usage idiomatique arabe sur un plan honorifique, sans indiquer le pluriel.

C'était la première fois que j'ai discuté avec un chrétien. Ce jour-là est né en moi un désir profond de discuter avec des chrétiens, un désir qui venait d'une ferveur enracinée pour les choses sacrées. Par la suite, et chaque fois que cela m'était possible, j'ai commencé à rechercher des livres qui attaquaient le Christianisme. J'ai fait une étude attentive de ces écrits, et certains jours précis, je me rendais à la place publique tout près de notre école pour discuter avec des prédicateurs chrétiens.

Un jour, un pasteur anglais qui avait l'habitude d'accompagner les prédicateurs, m'a donné sa carte en m'invitant à lui rendre visite. Il a été assez aimable pour me dire d'amener des amis si je voulais. C'est ainsi qu'avec deux ou trois amis, je suis allé le voir. C'était un homme accueillant et sympathique. Il nous a offert du thé et nous avons commencé à discuter de la religion. Se tournant vers moi, il m'a demandé: "Est-ce que vous lisez la Bible?" "Pourquoi devrais-je lire la Bible, ai-je répondu? Qui veut lire un livre modifié sans cesse?" A ces mots, le visage de cet homme a changé; il paraissait navré de mes paroles. Enfin, avec un demi-sourire il a dit: "Pensez-vous que tous les chrétiens sont des malhonnêtes? Croyez-vous que notre crainte de Dieu est si faible que nous trompons les gens en apportant des changements aux Saintes Écritures? Quand les musulmans disent que les chrétiens continuent à modifier le texte de la Torah et de l'Injil (l'Évangile), ils pensent que tous les chrétiens sont malhonnêtes, qu'ils trompent leur prochain. C'est là une grave accusation, totalement injustifiée. Les chrétiens croient que la Bible est la Parole de Dieu, comme les musulmans croient au Coran. Ainsi, si aucun musulman n'a le droit de changer le texte du Coran, comment un chrétien pourrait-il changer le texte du Livre de notre Dieu plein de sagesse, de la Sainte Bible? Si un musulman malveillant avait changé le texte d'un verset du Coran, tous les autres musulmans ne verraient-ils pas en lui quelqu'un qui s'est ouvertement écarté de l'Islam et ne publieraient-ils pas quelques déclarations à son sujet? De la même manière, si un chrétien mal intentionné cherchait à changer un verset des Écritures, les autres chrétiens ne le considéreraient-ils pas comme en-dehors de leur religion et ne feraient-ils pas connaître leur point de vue à son sujet? Bien sûr. Vous voyez ainsi que l'argument des musulmans selon lequel le texte de la Parole de Dieu a été changée est sans aucun fondement. Je crois que cela provient des musulmans plutôt ignorants de la Bible, de la foi et des doctrines chrétiennes."

Ensuite, ce pasteur m'a remis deux Bibles, une en arabe et l'autre en persan. Il m'a vivement encouragé à les lire. Nous l'avons remercié et sommes partis. L'objectif de ce pasteur ne m'intéressait pas quant au don qu'il m'avait fait. Ce qui m'intéressait dans la lecture de la Bible était d'y trouver des erreurs et de prouver par là que l'Islam était la vérité, en réduisant les chrétiens au silence dans toute discussion. D'ailleurs je n'ai pas pris la peine de lire la Bible d'un bout à l'autre. J'ai seulement cherché ces passages que les musulmans citent dans leurs controverses. En bref, pendant mon séjour à Delhi, je me suis consacré à mener une controverse avec les chrétiens.

D'AUTRES ÉTUDES

En ce temps-là, j'ai décidé de me rendre à Bombay. J'ai eu la chance, en arrivant, de rencontrer l'imam Hidayat Ullahqui était un homme d'autorité et un grand penseur, très respecté dans la région. Il était de Kaboul et connaissait bien ma famille. Dès que nous avons appris à nous connaître, il m'a promis son aide pour parfaire mon instruction. Il pensait que mes études étaient presque terminées et m'a conseillé de m'attacher désormais aux études littéraires. Il m'a autorisé à me servir de sa remarquable bibliothèque. J'ai donc commencé ces nouvelles études sous sa direction. Comme il avait passé la plupart de sa vie à Constantinople, en Égypte et en Arabie, il était expert sur le sujet. Son enseignement en langue persane, notre langue maternelle à tous deux, a bien facilité la tâche.

A ce moment, un autre expert en logique et philosophie est arrivé d'Égypte pour occuper un poste de professeur au Madrasa-i-Zakariyya. Cet homme était l'imam Abdul Ahad qui était du district de Djalalabad en Afghanistan. Comme on me parlait de sa célébrité, je suis entré au Madrasa-i-Zakariyya pour y étudier les derniers livres en matière de logique et de philosophie. L'imam m'a traité comme un fils, en m'octroyant une pièce à côté de la sienne afin que je puisse le consulter quand j'en avais besoin.

 

Chapitre Suivant

 

Retour au menu principal